Cession de droits d’auteur sur des photographies : nécessité d’un écrit… si tant est que les clichés soient originaux.

La Cour d’appel de Paris a rendu le 13 septembre 2023 un arrêt très intéressant et même important, dans un litige qui opposait un photographe à la société Habitat, célèbre fabricant et distributeur de meubles.

Dans cette affaire, le photographe avait été embauché comme salarié en CDD puis en tant que freelance, afin de réaliser des clichés des meubles vendus par Habitat, qui souhaitait ensuite en faire la promotion dans ses catalogues papier et en ligne.

Un différend est intervenu entre les parties, qui ont cessé leurs relations contractuelles en février 2018. C’est alors que le photographe s’est plaint de la poursuite de l’utilisation des clichés qu’il avait réalisés pour Habitat, en prétendant qu’il n’aurait jamais cédé ses droits et n’aurait jamais autorisé leur adaptation et leur reproduction sur le site internet de la société.

Tout en retenant que le photographe avait agi dans le cadre de commandes et qu’il avait nécessairement conscience de l’usage qui serait fait des photographies en cause, la Cour distingue deux périodes.

D’une part, avant l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016 ayant rendu l’écrit obligatoire pour les cessions de droits d’auteur, la Cour considère que le photographe avait consenti à une cession implicite de ses droits sur les clichés réalisés, de sorte qu’Habitat pouvait valablement en faire l’usage qu’elle souhaitait :

« M. [X] a implicitement et valablement cédé à [Habitat] ses droits d'auteur sur les photographies qu'il a réalisées pour son compte jusqu'en octobre 2016 ; (…)

il était dans l'intention commune des parties que ces photographies soient utilisées pour les entiers besoins de la promotion et de la commercialisation des produits proposés par la société HABITAT FRANCE, les utilisations aujourd'hui incriminées par M. [X] n'étant que la stricte continuation des exploitations consenties. »

Cette solution est fondée sur l’ancien article 1134 du Code civil et l’exigence de bonne foi dans l’exécution des relations contractuelles.

À cet égard, l’arrêt est notable, car la jurisprudence a souvent rappelé que la cession ne pouvait pas se déduire du seul paiement reçu par l’auteur. Cet arrêt vient donc apporter une précision importante sur ce point : non seulement le photographe a été payé, mais il ne pouvait pas ignorer l’usage qui serait fait de ses clichés. La cession implicite est donc admise.

D’autre part, et en revanche, pour la période postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016, la Cour considère que les factures émises par le photographe, qui comportaient pourtant une mention « cession de droits », n’étaient pas suffisantes eu égard au formalisme légal de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Cet article énonce en effet, de manière générale que, pour être valable, une cession de droits d’auteur doit être formulée par écrit et comporter une mention distincte dans l'acte de cession pour chaque droit cédé, ainsi que la délimitation du domaine d'exploitation des droits cédés quant à son étendue, sa destination, son lieu et sa durée.

A vrai dire, la solution peut surprendre car certains auteurs ont toujours soutenu que l’écrit n’était exigé qu’à titre probatoire.

Quoi qu’il en soit, pour cette période, alors, la Cour analyse l’originalité des clichés en cause, afin de vérifier s’ils sont éligibles à la protection par le droit d’auteur.

Et, sur ce point, la décision s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence très stricte, refusant de reconnaître l’originalité des oeuvres photographiques lorsque le photographe est contraint de respecter certaines lignes directrices et qu’en tout état de cause, les images n’ont qu’une vocation promotionnelle.

L’arrêt est sur ce point particulièrement éclairant, puisqu’il énonce dans un premier temps :

« Il ressort de ces éléments que si M. [X], en sa qualité de photographe professionnel spécialisé dans le design et la décoration, a nécessairement bénéficié d'une certaine latitude dans l'exécution de ses clichés, quant au choix des agencements retenus, du matériel photographique utilisé, des cadrages, des éclairages, etc, ainsi qu'en témoignent trois de ses assistantes (ses pièces 34 à 36), son travail, dont l'unique but était de valoriser les produits HABITAT et d'en accroître l'attractivité commerciale, était manifestement très encadré. »

Puis, dans un second temps, en tout état de cause, il retient :

« alors que les sujets des images sont définis par [Habitat] et que leur réalisation, à visée exclusivement promotionnelle, est contrôlée par le commanditaire, les choix essentiellement techniques exposés par M. [X] ne suffisent pas à traduire une démarche personnelle et créatrice qui porterait l'empreinte de la personnalité du photographe. »

En conclusion : pas de droits d’auteur pour des clichés sans vocation artistique, sans démarche véritablement personnelle. Le droit d’auteur se marie très mal avec les contrats de commande, en particulier dans le domaine photographique.

La sanction peut apparaître rude, mais elle s’explique notamment par le fait qu’Habitat produisait des photographies réalisées par un autre prestataire et qui ne se distinguaient pas vraiment des clichés du photographe à l’origine du contentieux.

On relèvera au demeurant que le juge de première instance avait refusé d’annuler l’assignation pour désignation insuffisante des clichés visés dans l’acte. Et, sur le plan de la preuve de l’originalité, le photographe avait pris soin de fournir des explications pour chaque cliché… des pages 6 à 198 de ses conclusions !

La Cour, qui précise avoir examiné les développements en question en intégralité, prend quelques exemples pour retenir qu’en réalité, sous couvert d’originalité, le photographe faisait seulement état d’un savoir-faire et d’une technique particulière, qui, on le sait depuis très longtemps, ne suffisent pas à conférer une originalité à des photographies.