Parasitisme : les gros investissements publicitaires font les gros dommages et intérêts.

Produits de grande consommation ou articles luxueux, les parfums font souvent l’objet de copies et la question se pose de trouver le bon fondement pour agir : droit d’auteur sur les flacons ? Marque ? La jurisprudence de plus en plus restrictive en la matière semble conduire les plaideurs à invoquer davantage le parasitisme. D’autant que, si les conditions de l’action en responsabilité deviennent de plus en plus complexes elles aussi, les dommages et intérêts alloués peuvent se révéler très substantiels en cas de succès.

Le parfumeur Guerlain est ainsi parvenu à faire lourdement condamner une société qui avait mis sur le marché plusieurs parfums qui ressemblaient un peu trop à ses créations, dont « La Petite Fleur noire », qui évoquait naturellement « La Petite Robe noire ».

L’arrêt rendu le 20 septembre 2023 par la Cour d’appel de Paris rappelle que « constitue un comportement illicite comme contraire à de tels usages le fait, pour une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, de copier une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. »

Le critère essentiel du parasitisme réside donc dans la preuve du savoir faire, du travail et des investissements. En l’occurrence, Guerlain avait fourni des éléments permettant de démontrer l’importance de la communication autour de son parfum, les juges relevant «  l’omniprésence du parfum La Petite Robe Noire sur les affiches, les devantures de magasins et d'immeuble et dans la presse », résultat d’un budget de communication de près de 10 millions d’euros par an.

Les éléments chiffrés, ainsi que les attestations du directeur financier et de la directrice marketing du parfumeur ont suffi à convaincre la Cour de l’existence d’investissements substantiels et, in fine, de l’existence d’une « valeur économique individualisée » à laquelle il a été porté atteinte par cette copie.

L’arrêt est intéressant par l’énumération des critères de comparaison des parfums : le nom, construit « de manière similaire », la majuscule à « Fleur » comme à « Robe », la présence d’une silhouette féminine « dessinée sans visage et portant une petite robe », alors que le défendeur (ici appelant) aurait pu utiliser « beaucoup d’autres visuels, notamment floraux, autres qu’une silhouette ».

De manière également intéressante, la Cour retient également la reprise de « l’univers de Paris et de la Tour Eiffel », éléments qui pourraient pourtant être considérés comme banals, y compris dans le domaine de la parfumerie… ainsi que l’utilisation des couleurs rose et violet.

Enfin, la Cour insiste sur la reprise des caractéristiques essentielles du flacon : « même démarcation centrale, quatre plans inclinés vers le bas du flacon (…) et un noeud papillon sur le dessus avec une légère courbe ». La Cour en déduit que ces ressemblances « ne sont pas fortuites et caractérisent le caractère intentionnel des captations ».

Finalement, la Cour entre en condamnation et fixe des indemnités élevées, eu égard, selon l’arrêt, aux économies réalisées par la limitation des frais de conception et de commercialisation des parfums, ainsi que la captation de la valeur économique du fait du bénéfice tiré de l’image et de la notoriété des parfums de Guerlain. Le montant des condamnations est à la hauteur de l’atteinte aux investissements de Guerlain, avec 594.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et 100.000 euros au titre du préjudice moral.

Cette décision se place dans le sillage de la jurisprudence « Miss Dior » (CA Paris, 9 octobre 2012) et confirme donc que les grandes maisons de parfumerie, qui peuvent se permettre de dépenser beaucoup d’argent dans la communication, peuvent idéalement agir en parasitisme plutôt qu’en contrefaçon de droit d’auteur ou de marque afin d’obtenir une indemnisation substantielle.