Pas de droits d'auteur pour un photographe qui ne démontre pas qu'il est le seul auteur des clichés en cause.

La Cour d'appel de Paris a rendu le 30 juin 2023 un arrêt intéressant relatif à la qualité d'auteur de photographies réalisées par un salarié pendant ses horaires de travail.

L'affaire opposait une société spécialisée dans la conception et la vente de vêtements à un ancien salarié, initialement embauché en tant que graphiste textile et qui, selon ses dires, aurait vu ses fonctions évoluer avec le temps et serait devenu photographe pour cette marque. Il prétendait en effet qu'il était intervenu lors de plusieurs shootings pour la marque et aurait lui-même réalisé plusieurs clichés qui, ensuite, auraient été exploités dans ses magasins, en l'absence de toute cession de droits d'auteur et de toute rémunération à ce titre.

En l'absence d'accord sur la cession de ses droits et la contrepartie financière associée, l'ex-salarié, qui a fait l'objet d'un licenciement en suite de sa réclamation, a assigné son ancien employeur au titre de prétendus actes de contrefaçon. Mais, en première instance comme en appel, ses demandes ont été rejetées pour défaut de preuve de la titularité des droits invoqués.

Dans cette affaire, plusieurs séances de photographies étaient concernées et le demandeur tentait de démontrer, pour chacune d'elles, quel avait été son rôle. C'est ainsi que, selon les cas, il prétendait être intervenu aux côtés d'un photographe officiel et avoir réalisé lui-même certains clichés, ou bien avoir été le seul photographe présent et avoir réalisé toutes les images générées lors de cette séance. Il fournissait soit des négatifs argentiques de clichés, soit des attestations de tiers, suggérant qu'il avait bien été présent sur les lieux du shooting et qu'il avait pris des photographies.

Cependant, dans chacun de ces cas, les juges ont estimé que la preuve de sa qualité d'auteur n'était pas rapportée.

D'une part, les juges ont considéré que certaines des photographies en litige constituaient des oeuvres collectives au sens de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle, car le demandeur ne démontrait pas qu'il avait bénéficié d'une liberté créative au-delà des consignes et instructions de son employeur :

"Il n'est pas contesté que la société IKKS Prestations a pris l'initiative des différents shootings à l'occasion desquels M. [G] aurait réalisé les photographies sur lesquelles il réclame des droits d'auteur. (...)

Contrairement à ce que soutient l'appelant, il n'est nullement établi qu'il a maîtrisé le processus de création de ces photographies sans être assujetti à la direction ou au contrôle d'IKSS."

La Cour a notamment analysé les documents relatifs à chaque tournage et constaté que l'ex-employeur ne s'était pas contenté de directives générales, mais avait fourni "des instructions précises (...) sur les deux shootings à réaliser, dont les contenus à photographier, les budgets alloués et les personnes présentes".

A vrai dire, il n'est pas certain que les instructions liées aux "contenus à photographier" ne pouvaient pas laisser une marge de manoeuvre créative au photographe, sachant que les budgets alloués et la simple liste des personnes présentes lors du tournage ne pouvaient pas, a priori, influer sur le processus créatif.

Toujours est-il que l'arrêt retient que "la société IKKS devait donner son aval par l'intermédiaire de son directeur artistique, sélectionner les photographies et faire effectuer des retouches, de sorte qu'elle a maîtrisé le processus de création".

En somme, cette "maîtrise globale du processus de création" avait pour effet de conférer la qualité d'oeuvre collective aux clichés en cause, ce qui peut se comprendre : aux côtés du photographie, qui a réalisé les clichés sous certaines directives de son employeur, d'autres auteurs ont pu apporter leur contribution personnelle, par exemple dans le cadre d'opérations de post-production qui, en tant que telles, peuvent porter l'empreinte de la personnalité d'un tiers.

D'autre part, dans d'autres cas, les juges ont tout simplement considéré que le demandeur ne démontrait pas qu'il était réellement l'auteur des photographies en cause, en particulier lorsqu'il n'était pas le photographe officiel du shooting :

"ce dernier [l’appelant] ne saurait bénéficier de la situation du photographe en charge du tournage sans apporter la preuve de la titularité des droits d'auteur qu'il revendique lui-même (...)

la simple production de négatifs de photographies argentiques difficilement exploitables, ne suffit pas à établir sa qualité d'auteur des photographies en cause ni même de leur remise à la société IKKS".

Comme souvent, à l'évidence, la question de la preuve des droits invoqués est cruciale. Si la preuve des droits est libre, elle doit être certaine, de sorte qu'il est indispensable, lorsque l'on revendique des droits d'auteur, de pouvoir démontrer à tout le moins que l'on est l'auteur des oeuvres concernées.