Transfert de la marque "ACTUALITÉ JUIVE" en raison du caractère frauduleux de son dépôt

Par un arrêt du 30 juin 2023, la Cour d'appel de Paris a rendu une décision intéressante qui concerne aussi bien le droit d'auteur que le droit des marques. L'affaire opposait la société Almanach, éditrice de la revue "Actualité Juive", aux héritiers du fondateur de cette revue créée en 1981.

En l'occurrence, la société Almanach avait repris l'édition de la revue en 2020, après le rachat du fonds de commerce de l'éditeur originel, AJ Presse, placé en liquidation judiciaire. La cession n'avait pas porté sur la marque "ACTUALITÉ JUIVE", qui avait été déposée par les héritiers du fondateur de la revue en 2011, après le décès de celui-ci.

Cessionnaire du fonds de commerce de l’éditeur originel, la société Almanacc avait cru pouvoir reprendre l'édition du magazine sous son titre, nonobstant l'absence de droits sur la marque en question. Les héritiers avaient alors tenté de s'opposer à la poursuite de l'utilisation de ce titre. Il en est résulté un litige entre, d'une part, des droits d'auteur sur un titre et, d'autre part, des droits de marque sur le même signe.

La Cour d'appel a raisonné en deux temps.

Sur le plan des droits d'auteur, elle a considéré que la société Almanacc était bien titulaire des droits de propriété littéraire et artistique sur le titre, puisque l'acte de cession du fonds de commerce de la société AJ Presse prévoyait bien le transfert de « l'ensemble des actifs corporels ou incorporels appartenant à la société AJ presse, que ces éléments soient ou non visés dans l'inventaire ». Et, parmi les éléments incorporels figurait notamment « tout droit de propriété intellectuelle appartenant à AJ Presse ».

Il est donc intéressant de relever que, selon la Cour, le titre d’une revue fait partie du fonds de commerce de la société éditrice, indépendamment d’une mention explicite dans l’acte de cession dudit fonds.

À rebours, la Cour a jugé que les héritiers ne rapportaient pas la preuve de droits dont ils seraient titulaires sur ce titre, en l'absence de démonstration de l'origine même du nom. En particulier, selon l'arrêt, même si le titre a été créé par leur père, "le seul fait d'être fondateur du journal et directeur de la publication ne suffit pas à établir la qualité de créateur du titre et le dépôt légal de celui-ci n'est pas constitutif de droit d'auteur au bénéfice de celui qui fait la déclaration administrative".

Sur le plan du droit des marques, la Cour a considéré que le dépôt de la marque "ACTUALITÉ JUIVE" par les héritiers en 2011 était frauduleux. En effet, ce dépôt a été effectué après le décès du fondateur de la revue, alors que les déposants n'étaient que salariés de la société et qu'ils ne l'avaient jamais exploitée à titre personnel. Selon l'arrêt :

"Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les consorts [X] ont déposé les marques litigieuses le 25 octobre 2011 non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l'intention de porter atteinte, d'une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l'intention d'obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d'une marque, notamment de la fonction essentielle d'indication d'origine."

Par conséquent, selon la Cour, le dépôt de marque en question était entaché de fraude, à telle enseigne que la société Almanacc pouvait valablement obtenir le transfert de cette marque à son profit, conformément aux dispositions de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle.

Cette solution est une application stricte de ce texte, qui protège les droits des tiers contre des dépôts de marque effectués dans le but de les priver d’un actif indispensable à leur activité.

On notera par ailleurs que les héritiers ont été contraints de transférer à la société Almanacc également les codes d’accès aux comptes Twitter (ou plutôt dorénavant… X) et Facebook de la revue.