En référé, le juge peut rejeter l'action en contrefaçon de marque pour insuffisance de preuve de l'exploitation du titre fondant les demandes.
Il est courant de rappeler que, dans le cadre d'une procédure de référé, le succès des demandes suppose que l'ensemble des griefs soit évident et que le juge n'ait pas à apprécier le bien-fondé des prétentions d'une manière qui lui ferait donner un avis sur le fond du litige.
C'est la raison pour laquelle, en matière de contrefaçon de marque, le juge ne va pas vérifier si l'atteinte à la marque est constituée, mais seulement si elle est "vraisemblable".
Dès lors, en théorie, le juge ne va pas non plus se prononcer sur la validité de la marque qui fonde les demandes : l'appréciation de cette validité relève de la compétence du tribunal statuant au fond. Consécutivement, le juge des référés n'a pas le pouvoir d'annuler la marque.
Mais ceci n'empêche pas le juge des référés d'apprécier si cette validité est elle-même "vraisemblable", en particulier si la marque n'est pas exploitée. Une affaire récente rendue par le Président du Tribunal judiciaire de Lille en constitue l'illustration.
L'affaire opposait deux sociétés spécialisées dans la fabrication et la vente de confiseries nordistes. La société en demande, Chuques du Nord, est titulaire d'une marque "DELICES DE LILLE", déposée en 2007 en classe 30 pour viser les produits alimentaires tels que les confiseries.
Cette société a reçu en septembre 2023 un courrier d'une société concurrente, Nougat des Lys, exposant que la marque "DELICES DE LILLE" pourrait faire l'objet d'une action en déchéance faute d'usage sérieux depuis une période ininterrompue de cinq ans, selon les dispositions de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle.
La société Chuques du Nord s'est alors aperçue que la société Nougat des Lys avait procédé au dépôt, en 2023, d'une marque "DESLYS DE LILLE", en classe 30, pour viser elle aussi les confiseries. Elle a considéré que cette marque portait atteinte à ses droits sur la marque antérieure “DELICES DE LILLE”.
C'est donc finalement la société Chuques du Nord qui engagea une procédure judiciaire contre son concurrent Nougat des Lys, en invoquant des actes de contrefaçon de la marque "DELICES DE LILLE".
L'ordonnance de référé, rendue le 22 juillet 2025 par la Présidente du Tribunal judiciaire de Lille, porte sur plusieurs aspects juridiques intéressants. Notamment, elle rappelle que la production en demande d'un unique extrait de la base de données de l'INPI ne suffit pas à rapporter la preuve des droits sur une marque et qu'il est nécessaire de fournir au soutien de l'assignation une copie du certificat d'enregistrement de la marque ou bien de son certificat de renouvellement.
Et s'agissant précisément de l'atteinte aux droits de la société Chuques du Nord sur la marque "DELICES DE LILLE" par l'usage de la marque "DESLYS DE LILLE" pour désigner des produits similaires à ceux visés dans le certificat d'enregistrement, le Juge des Référés a dû répondre à un argument de la défenderesse évoquant une "contestation sérieuse" tendant à la potentielle nullité de la marque invoquée (toutefois impossible à faire constater en référé) et à l'absence d'usage sérieux de la marque opposée, comme évoqué dans le courrier adressé en septembre 2023 à la demanderesse, déclencheur du litige.
Le juge rappelle à cet égard que, "saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente".
La notion de vraisemblance se trouve donc au coeur des procédures de référé. Et si le juge des référés ne peut pas annuler la marque, "il doit apprécier le sérieux des arguments opposés en défense avant de se prononcer sur l'atteinte imminente ou vraisemblable aux droits de propriété intellectuelle du titulaire".
Et concernant l'argument relatif à la potentielle déchéance des droits de la société Chuques du Nord sur sa marque "LES DELICES DE LILLE" pour défaut d'usage sérieux, le juge retient que les éléments produits ne sont pas suffisants pour y répondre : un contrat de licence gratuite, des factures d'étiquettes comportant des éléments incohérents, des photographies sans date... Autant d’éléments dont la force probante était contestable.
C’est ainsi que, selon l'ordonnance,
"ces éléments insuffisamment probants ne permettent pas de considérer que le demandeur établit un usage réel et effectif de la marque, alors que le signe est destiné à la commercialisation de produits de consommation courante, peu onéreux et à destination du plus grand nombre".
Dès lors, à rebours, les arguments présentés en défense au regard du prétendu défaut d'exploitation de la marque "sont suffisamment pertinents et ne permettent pas au juge de statuer sur l'atteinte vraisemblable ou imminente des droits de la SAS Chuques du Nord".
La demanderesse a donc été déboutée de sa demande en référé et, si elle souhaite poursuivre ses démarches judiciaires, elle devra se pourvoir au fond et, dans cette hypothèque, s'exposer au risque d'une action en nullité de sa marque "DELICES DE LILLE".
Cette solution est intéressante et témoigne de l'absolue nécessité de n'engager une procédure de référé que sur la base d'éléments incontestables.