Atteinte aux droits du producteur d'une base de données : l'indemnité peut être fixée au regard la valeur de cession de la base.
La Cour d'appel de Douai a rendu le 25 septembre 2025 un arrêt intéressant en matière d'indemnisation du préjudice subi par un producteur de base de données en cas de violation de son droit "sui generis" au sens de l’article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle.
L'affaire opposait deux concurrents proposant des services d’information dans le domaine de l'analyse et la prévision de catastrophes naturelles.
D'un côté, un entrepreneur individuel agissant sous le nom Ubyrisk Consultants, offre depuis 2007 des services d'avertissement de phénomènes de grêle via un site internet intitulé "Grêle Warning" fonctionnant à partir d'une base de données CATNAT qu'il prétendait avoir constituée lui-même, collectant des informations sur les phénomènes naturels dommageables de type vent, orages et grêle depuis l'an 2000.
De l'autre côté, Keraunos, créée en 2006, est une société spécialisée dans l'étude et la précision de phénomènes orageux à partir d'une base de données qu'elle a elle-même constituée, lui permettant de développer ses propres modèles de prévisions à partir de données publiques et non publiques, notamment des informations communiquées par des observateurs partenaires.
En l'occurrence, Keraunos a suspecté Ubyrisk d'avoir utilisé sans autorisation sa base de données afin d'enrichir sa propre base CATNAT, donc à des fins commerciales. Elle a d'abord fait dresser un procès-verbal de constat par un huissier, puis assigné Ubyrisk en violation des droits de producteur de base de données, concurrence déloyale et parasitisme devant le Tribunal judiciaire de Lille. Ce dernier lui avait donné gain de cause en condamnant Ubyrisk à lui payer une somme de 45.000 euros pour contrefaçon, mais en la déboutant de ses autres demandes.
En appel, Ubyrisk reconnaissait avoir obtenu des accès aux données de Keraunos grâce à l'usage de fausses identités, mais uniquement dans le cadre d'une "veille concurrentielle" et non aux fins d'exploitation dans le cadre de ses propres activités. Il contestait donc les actes de violation des droits de producteur de base de données, de même que les actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Or, de son côté, Keraunos rapportait la preuve de l'usage de ses propres données dans le cadre de rapports produits par Ubyrisk, notamment dans le cadre d'une cartographie.
Selon l'arrêt, bien que concurrentes et procédant de sources d'informations communes, les bases ne pouvaient pas présenter des similitudes aussi fortes, en ce compris des fausses informations contenues dans la base de Keraunos. Il s'agit là d'un mode de preuve classique de l'utilisation d'une base de données : les fausses entrées constituent en effet un moyen simple de démontrer qu'une base a été réutilisée puisqu'il existe là un chance très substantielle que les données erronées proviennent de la base qui les contient initialement.
La Cour en déduit que Ubyrisk "a de manière réitérée pendant plusieurs années tenté d'obtenir et obtenu communication des bases de données de la société Keraunos sous de fausses identités et qu'il est également démontré qu'il a utilisé les données de son concurrent."
Mais, alors que Keraunos prétendait avoir investi de manière substantielle dans la conception de sa base et réclamait un forfait de 120.000 euros de dommages et intérêts, la Cour refuse de faire droit à sa demande. Les juges se sont appuyés sur une facture de cession de la base de données à hauteur de... 2.555 euros en 2019 pour finalement confirmer le jugement qui avait accordé à la demanderesse une somme de 45.000 euros.
La Cour ajoute tout de même une indemnité de 20.000 euros pour préjudice moral du fait de l'utilisation, par le concurrent, de fausses identités pour se procurer les données.
Par ailleurs, la Cour ayant donné gain de cause à Keraunos au titre de l'atteinte aux droits de producteur de bases de données, elle la déboute de ses demandes formées au titre de la concurrence déloyale.