Validité de la clause prévoyant une contrepartie forfaitaire à une cession de droit d'auteur dans un contrat de travail, non distincte du salaire

La Cour d'appel de Paris a rendu le 25 janvier 2023 (RG 19/15256) un arrêt très intéressant en ce qui concerne le droit d'auteur appliqué aux créations salariées.

La pratique rencontre souvent des difficultés avec les règles applicables en France, qui sont souvent mal adaptées au contexte de la collaboration salariée. Alors qu'en droit du copyright il est tout à fait possible de prévoir une large cession des droits sur les oeuvres créées par les salariés ("work made for hire"), ici il est nécessaire de plus ou moins jongler avec les règles rappelant que l'auteur salarié reste titulaire des droits sur ses créations réalisées dans le cadre du contrat de travail, sauf cession explicite, laquelle ne peut toutefois pas porter globalement sur des oeuvres à venir.

A cet égard, cet arrêt contient de nombreux enseignements et mériterait un commentaire approfondi. Nous relèverons les quelques points suivants.

L'affaire opposait une directrice artistique, styliste, à son employeur, auquel elle reprochait notamment de ne pas l'avoir rémunérée au titre de la cession de ses droits sur des créations réalisées dans le cadre de collaborations avec d'autres marques.

Elle soutenait notamment que la contrepartie à la cession de ses droits d'auteur telle que prévue dans son contrat de travail ne concernait que les oeuvres qu'elle réalisait pour son employeur, mais pas celles fournies à l'occasion de collaborations. Par ailleurs, à titre subsidiaire, elle prétendait que la cession de ses droits était nulle car il se serait agi d'une cession globale d'oeuvre future, laquelle est expressément interdite par le Code de la propriété intellectuelle.

Après analyse des éléments en cause, en particulier le contrat de travail en question, la Cour d'appel de Paris n'a pas fait droit aux demandes de cette styliste.

D'une part, la Cour a considéré que les oeuvres créées par la styliste dans le cadre de collaboration entre son employeur et d'autres marques relevaient bien de l'exécution de son contrat de travail. A cet égard, les juges se sont entre autres appuyés sur le fait que les collaborations avaient eu lieu en vertu de contrats signés entre son employeur et les autres marques, prévoyant que les créations seraient réalisées par cette directrice artistique. En d'autres termes, il n'y avait pas à distinguer selon que ses créations étaient exploitées par son employeur lui-même, sous sa propre marque, ou sous les marques de tiers.

D'une part, et ce point est très intéressant, la Cour a prononcé la validité de la clause de cession de droits d'auteur, au motif qu'elle portait sur des oeuvres, certes non créées au moment de la conclusion du contrat de travail plusieurs années plus tôt, mais remises au fur et à mesure de l'exécution du contrat. Selon l'arrêt :

"Une telle clause n'est pas nulle dès lors qu'elle délimite le champ de la cession à des oeuvres déterminables et individualisables à savoir celles réalisées par la salariée dans le cadre du contrat de travail et au fur et à mesure que ces oeuvres auront été réalisées."

La Cour considère donc a contrario qu'une cession est "globale" et porte sur des oeuvres seulement "futures" uniquement lorsqu'elle vise "globalement les oeuvres objet de la cession" et porte sur des oeuvres à venir, ce qui n'est pas le cas lorsque la cession n'opère "qu'au fur et à mesure de la réalisation."

Cette remise et cette cession "au fur et à mesure" correspondent à une pratique (et une rédaction) désormais ancienne, dont la validité a pu être contestée (car il s'agit d'une sorte de fiction juridique). Elle est ici approuvée par les juges, ce qui peut représenter une forme de soulagement pour les employeurs qui ont intégré cette clause de cession dans les contrats de travail de leurs salariés.

Enfin, et c'est également un point ici fondamental, les juges ont validé la cession des droits d'auteur de la styliste alors même que le contrat de travail ne prévoyait aucune contrepartie financière spécifique à ladite cession. Selon l'arrêt, exempt de toute ambiguïté ici :

"une rémunération forfaitaire n'opérant pas de distinction entre la rémunération de la prestation de travail et la contrepartie de la cession des droits d'auteur est licite."

Cette affirmation peut surprendre et d'aucuns, par prudence, prévoyaient jusqu'ici une quote-part de la rémunération en tant que contrepartie à la cession des droits d'auteur. Néanmoins, l'arrêt est ici tout à fait clair et pourrait permettre une pratique plus libérale sur ce sujet, même si on relèvera qu'en l'espèce, la salariée était aussi directement intéressée aux résultats de la société qui l'employait, par la perception de dividendes. Ceci explique peut-être cela et on évitera peut-être d'appliquer cette solution à un salarié qui ne perçoit que son salaire.

En somme, voici une décision qui pourrait bien être invoquée à l'avenir dans des contentieux similaires. Attention toutefois, il est possible qu'un pourvoi en cassation ne soit formé à son encontre, ce qui donnerait alors la possibilité à la Cour de cassation de se prononcer sur ces sujets sensibles, car très courants… et éventuellement revenir sur ces solutions.