Sans preuve de ses droits d'auteur, un demandeur est irrecevable à agir en contrefaçon.

Certains auteurs peuvent parfois se rassembler en groupement ou en collectif, ce qui leur permet d'élargir leur champ d'action, trouver de nouveaux clients, voire remporter des marchés autrement inaccessibles en restant solo. Cette organisation qui, juridiquement, peut prendre la forme d'une association dotée ou non de la personnalité morale, a toutefois une incidence sur les droits de propriété intellectuelle relatifs aux créations produites par les auteurs qui sont ainsi regroupés, comme en témoigne un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 2023.

Dans cette affaire, une graphiste reprochait à l'éditeur d'une revue consacrée au vin d'avoir utilisé certaines créations graphiques en l'absence de cession de droits formalisée et, partant, de manière contrefaisante. Il est apparu que les créations avaient initialement été commandées à un groupe de graphistes rassemblés sous la bannière "Les 5 sur 5". La demanderesse à l'action prétendait être titulaire de l'ensemble des droits sur les créations en cause pour les avoir elle-même conçus ou bien s'être fait céder les droits de propriété littéraire et artistique y afférents par les autres membres du collectif.

En première instance, toutefois, la demanderesse avait été déboutée de ses prétentions, faute pour elle d'avoir suffisamment identifié l'objet des droits invoqués, c'est-à-dire les créations litigieuses. En cause d'appel, la graphiste avait certes rectifié le tir, en listant les oeuvres qui auraient été prétendument utilisées de manière illicite par l'éditeur de la revue, à savoir celles relatives à la nouvelle identité visuelle du magazine (couverture, sommaire, contenu).

Cependant, un autre écueil est alors apparu, puisqu'il lui a été reproché de ne pas apporter la preuve qu'elle était bien l'auteur ou la titulaire des droits d'auteur relatifs à ces créations, commandées, pour mémoire, à un collectif d'auteurs. Précisément, les différents éléments en cause avaient été divulgués à l'époque sous le nom du collectif "Les 5 sur 5", tandis que les factures relatives à ces créations avaient elles-mêmes été émises au nom dudit collectif.

Dans son arrêt du 13 janvier 2023, la Cour retient ainsi qu’“aucune des pièces fournies au débat par Mme [D] ne montrent qu'elle est le seul auteur de l'identité visuelle" en cause, ce qui excluait de facto la possibilité pour l’appelante de se prétendre auteur des créations concernées par le différend.

De même, la Cour a considéré que l'appelante n'avait pas apporté la preuve qu'elle était bien, à tout le moins, cessionnaire des droits de propriété intellectuelle sur les oeuvres litigieuses. Si elle versait bien au débat un contrat de cession de droits d'auteur, il n'est pas apparu de manière suffisamment nette qu'il portât sur les créations litigieuses, tandis qu'il n'avait été conclu qu'avec un seul graphiste et non l'ensemble des membres du collectif.

Ainsi, selon l'arrêt, "l'appelante [a] échou[é] à démontrer qu'elle est titulaire des droits d' auteur sur les oeuvres qu'elle oppose". Partant de ce constat, elle a été jugé irrecevable à agir en contrefaçon.

Il est intéressant de constater que la demande reconventionnelle pour procédure abusive, formulée par la société éditrice de la revue, a été rejetée par la Cour, les juges considérant, de manière assez classique, que "le fait d'exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s'il dégénère en abus". En l'occurrence, ils ont considéré qu'aucun abus n'avait été constitué, malgré un "caractère prétendument opportuniste" de l'action engagée.

Cet arrêt rappelle donc que l'action en contrefaçon suppose un minimum d'éléments de preuve avant d'être engagée : détermination des oeuvres en cause, qualité d'auteur... sans oublier bien sûr la preuve de l'originalité des créations objets du litige. Seule une analyse fine des faits de la cause, en amont d'une éventuelle procédure, peut permettre de déterminer s'il est envisageable de porter le litige devant les tribunaux.