La cession d'un fonds de commerce d'édition emporte nécessairement cession du titre du magazine cédé.

Voici une très intéressante décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 14 septembre 2022 à propos d'une revue bien connue des juristes et avocats en droit du travail, "Liaisons Sociales".

L'affaire opposait la société Wolters Kluwer France, éditrice originelle de la revue, à la société INFO6TM, qui avait acquis le fonds de commerce d'édition de presse de la première en 2016. Par cet acte, douze revues avaient été cédées à INFO6TM, dont le fameux et incontournable mensuel "Liaisons Sociales Magazine".

Le contrat de cession listait l'ensemble des éléments composant le fonds de commerce transférés à INFO6TM. Sur la base de cette liste, Wolters Kluwer avait ensuite reproché à la cessionnaire de continuer à utiliser le titre "Liaisons Sociales Magazine", en prétendant ne pas le lui avoir cédé. Selon elle également, elle aurait conservé la titularité de deux marques "LIAISONS SOCIALES" déposées en 2014, non visées au contrat de cession, et aurait donc eu seule le droit d'exploiter ce signe, ce qu’elle faisait notamment dans le cadre d’un site internet du même nom.

De son côté, la société INFO6TM soutenait que la cession du fonds de commerce avait emporté la cession du titre de la revue et prétendait donc avoir le droit de l'exploiter en parallèle de la poursuite de l’exploitation de ce titre par la cédante sur internet.

Le litige supposait ainsi l'interprétation par le juge de la portée du contrat de cession de fonds de commerce et la détermination de l'intention des parties. Wolters Kluwer avait-elle pu valablement et réellement céder son fonds de commerce d'édition de presse sans les titres des magazines, protégés par des droits de marque non expressément listés dans l'acte ? Si oui, comment résoudre le litige entre les marques dont Wolters Kluwer était restée titulaire et les titres des magazines ?

L'arrêt de la Cour d'appel de Paris n'hésite pas à trancher ces deux questions et pourrait faire figure de référence sur chacun des points abordés.

D'une part, les juges rappellent que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, conformément aux dispositions de l'article 1104 du Code civil. En outre, selon l'article 1188 du même Code, la recherche de la commune intention des parties ne s'arrête pas à la rédaction littérale des conventions. Dans ces conditions, selon l'arrêt, la société Wolters Kluwer ne pouvait pas valablement soutenir n'avoir pas cédé les titres des revues en même temps que son fonds de commerce.

L'arrêt retient à cet égard que le titre de la revue constitue un "élément essentiel" d'un fonds de commerce de presse, puisqu'il permet d'identifier le magazine auprès de son lectorat. Ainsi, selon la décision :

"Le titre [est] indissociable de la revue cédée, ce qui est conforté par la désignation de la publication cédée sous son titre dès le préambule précité du contrat".

La Cour de Paris considère, à rebours de la position de Wolters Kluwer et même du principe selon lequel les cessions (en particulier de droits de la propriété intellectuelle) doivent être expresses, que si les parties avaient eu l'intention de ne pas transférer le titre de la revue, alors elles l'auraient indiqué dans le contrat, ce qui n'avait pas été le cas. De ce point de vue, la décision est remarquable, entérinant l'idée qu'une cession d’un titre peut être implicite.

D'autre part, et en conséquence de ce qui précède, aucun acte de contrefaçon ne pouvait être reproché à la société INFO6TM alors même que Wolters Kluwer était bel et bien restée titulaire des marques "LIAISONS SOCIALES" déposées quelques années plus tôt.

Bien plus, la Cour a donné raison à la société cessionnaire qui reprochait à Wolters Kluwer des commis une faute sur le plan contractuel. Selon l'arrêt, la cédante avait bel et bien manqué à son obligation de bonne foi en reprochant à sa cocontractante d’exploiter le titre du magazine qu’elle lui avait cédé :

"En engageant la présente procédure en contrefaçon de marques, motif pris de l'utilisation par la société INFO6TM du titre de la revue cédée, qui en constituait pourtant un élément indissociable et qui avait donc nécessairement été transmis avec la publication en cause, la société WKF a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat, prévue par l'article 1104 précité du code civil."

La cédante a ainsi été condamnée à indemniser le préjudice de la cessionnaire, gênée dans l'exploitation paisible de la publication en cause et dont les droits d'utilisation étaient contestés.

En conclusion, il reste absolument indispensable de rédiger les termes d’un contrat, particulièrement d’un contrat de cession, de manière rigoureuse, de façon à ne laisser subsister aucune ambiguïté quant à l’intention des parties et quant au périmètre de l’opération, sous peine de se heurter ensuite à l’appréciation souveraine du juge.