Sony échoue à faire condamner une société pour contrefaçon de brevets relatifs aux manettes « DualShock ».

Le groupe Sony vient de constater l’importance de publier en temps et en heure les actes de cession de titres de propriété intellectuelle.

En l’occurrence, la société de droit japonais Sony Interactive Entertainment se plaignait de la commercialisation par une société lyonnaise Subsonic de manettes compatibles avec les consoles PlayStation 3 et 4, portant prétendument atteinte à plusieurs brevets dont elle était titulaire et qui étaient mis en oeuvre dans le cadre des manettes officielles “DualShock”.

Sony avait fait réaliser des constats d’achat sur le site internet Amazon.fr ainsi que des opérations de saisie-contrefaçon de brevets en décembre 2016 dans les locaux de Subsonic, afin de matérialiser la preuve de la commercialisation de ces produits. Une assignation au fond en contrefaçon de brevet et concurrence déloyale avait suivi en janvier 2017 devant le Tribunal de grande instance de Paris.

En première instance, Sony fut toutefois déboutée de l’intégralité de ses demandes et interjeta appel du jugement. Par un arrêt du 9 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision dans toutes ses dispositions.

S’agissant de la contrefaçon des brevets invoqués par Sony, l’arrêt repose sur une considération très simple : au moment des opérations de saisie-contrefaçon puis de l’assignation, la société Sony Interactive Entertainment était peut-être titulaire des brevets en cause, mais cela n’apparaissait pas au Registre des brevets, de sorte que cette titularité n’était pas opposable aux tiers.

En l’occurrence, Sony a produit en cours de procédure divers documents tels que contrats et attestations d’avocats japonais, démontrant qu’elle était devenue cessionnaire des brevets portant sur les manettes “DualShock” dès 2010, par une opération de “scission - création” de société. En vertu de ces actes, une entité nouvelle peut devenir titulaire de droits de propriété intellectuelle qui appartenaient naguère à une autre société du même groupe. C’est précisément ce qu’il s’était passé, Sony Interactive Entertainment devenant titulaire des brevets initialement déposés par une société dénommée Sony Computer Entertainment. Cependant, cette opération n’avait pas immédiatement été publiée au Registre National des Brevets.

Comme l’énonce l’arrêt :

«  Au vu de ces éléments, la cour retient que la preuve est bien rapportée de la transmission au 1er avril 2010 à la société nouvelle SCEI, dénommée à la présente procédure société Sony, de la titularité des brevets EP 212, EP 338 et EP 974. Il ressort [toutefois] des éléments produits au débat et non contestés par les parties que les formalités d'inscription au Registre National des Brevets (RNB) tenu par l'INPI du transfert des dits brevets EP 212, EP 338 et EP 974 n'ont été réalisées que le 13 août 2018, soit plus de 18 mois après la délivrance de l'assignation devant le tribunal. »

Or l’article L. 613-9 du Code de la propriété intellectuelle crée une obligation de publication des actes de cession ou licence portant sur des brevets afin qu’ils soient opposables aux tiers. En l’absence d’une telle formalité, le cessionnaire ou le licencié ne peut pas valablement agir.

Comme le rappelle la Cour,

« la demande en contrefaçon formée par le cessionnaire d'un droit de propriété industrielle n'est pas recevable tant que l'acte juridique emportant transfert du droit n'a pas fait l'objet d'une inscription au registre national concerné. Incontestablement titulaire du droit, le cessionnaire n'a cependant en effet, avant cette date, pas de droits opposables aux tiers et notamment aux tiers supposés contrefacteurs qui ne sont pas visés par l'exception prévue au second alinéa. »

De ce simple fait, la société Sony ne pouvait pas être considérée comme recevable à agir en contrefaçon antérieurement à cette publication et devait donc être déboutée de ses demandes sur ce fondement.

Pire encore, il est apparu que Sony avait obtenu du juge l’autorisation de procéder à des actes de saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Subsonic sans faire état de la situation relative à l’absence de publication de la cession des brevets. Ces opérations de saisie s’étaient déroulées sur deux jours et la société défenderesse avait fait valoir qu’elle avait subi un préjudice à ce titre. La Cour lui a donné raison et lui a accordé des dommages et intérêts :

« [La société Sony] a obtenu ladite autorisation sans avoir fait état de la cession non publiée au RNB (…). L'obtention de l'ordonnance présidentielle dans de telles conditions et la poursuite sur deux jours d'opération de saisie-contrefaçon est fautive au sens de l'article 1240 du code de procédure civile (sic) et a engendré un préjudice de désorganisation important pour la société Subsonic augmenté par la période choisie, au mois de décembre alors qu'il s'agit de manettes de jeux. »

En d’autres termes, une requête aux fins de saisie-contrefaçon présentée sur la base d’une titularité erronée, associée à des opérations de saisie pendant les fêtes de fin d’année, juste avant Noël, était abusive. Sony a été condamnée à payer à Subsonic une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts.

Enfin, signalons que la société Sony France se plaignait pour sa part d’actes de concurrence déloyale. Mais ses demandes sur ce fondement ont également été rejetées : reposant sur les mêmes faits que la demande de Sony Japon au titre de la contrefaçon, demande rejetée comme évoqué ci-dessus, Sony France ne pouvait donc se prévaloir de quoi que ce soit. Selon la Cour :

« il résulte de ce qui précède que les demandes de la société [japonaise] Sony fondées sur la contrefaçon des brevets européens invoqués ont été considérées irrecevables. Dès lors, la société Sony France ne pourra qu'être déboutée de sa demande fondée sur la concurrence déloyale. »

La motivation peut surprendre car les demandes respectives étaient différentes et devaient théoriquement être appréhendées de manière distincte. L’on comprend néanmoins que l’absence de faute au préjudice de Sony Japon a eu pour conséquence directe l’absence de faute au préjudice de Sony France dès lors que les actes de concurrence déloyale invoqués reposaient sur l’idée que les manettes de Subsonic portaient atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Ce qui n’était pas le cas.

Les jeux sont-ils alors finis pour Sony ? Pas nécessairement. Car les actes de contrefaçon dont il n’a pas été possible d’obtenir la condamnation étaient ceux qui étaient antérieurs à la publication de la cession des brevets au Registre National. En revanche, les actes postérieurs à cette publication pourraient, eux, théoriquement être invoqués à l’appui d’une nouvelle demande. Affaire à suivre ?