La jurisprudence en matière d'originalité des oeuvres photographiques toujours aussi sévère

Peut-être avez-vous reçu un courrier ou un e-mail vous reprochant d'avoir utilisé une image que vous auriez "trouvée" sur internet... Peut-être ce courrier évoque-t-il des droits d'auteur... sans réellement caractériser en quoi l'image serait "originale" au sens de la propriété intellectuelle. Ce nouvel arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 4 novembre 2022 devrait vous intéresser.

Dans cette affaire, comme dans tant d'autres, un photographe se plaignait de l'utilisation par un tiers d'une photographie qu'il aurait prise en Nouvelle Calédonie, représentant un passage côtier pris en vue aérienne. La photographie avait été utilisée dans une revue papier. Ne parvenant pas à obtenir une indemnisation amiable de l'éditeur de la revue, le photographe avait assigné ce dernier pour contrefaçon de droit d'auteur.

Peut-être n'avait-il pas connaissance de la jurisprudence bien établie en la matière, qui apprécie avec une grande sévérité l'originalité des oeuvres photographiques. Car toute photographie n'est pas protégeable par le droit d'auteur, bien au contraire. Il est nécessaire de démontrer que le cliché "porte l'empreinte de la personnalité de son auteur", selon l’expression consacrée, ce qui signifie que ce dernier doit démontrer des choix esthétiques spécifiques en termes par exemple de cadrage, de mise en scène, de traitement. Le fait d'appuyer sur le déclencheur au bon endroit et au bon moment n'est pas suffisant, loin de là.

Un arrêt intéressant en la matière est celui rendu par la Cour d'appel de Paris il y a une quinzaine d’années dans une affaire qui concernant des clichés du Prince William et Kate Middleton, selon lequel :

"Ces clichés représentent le prince William et Kate A... utilisant un téléski côte à côte une main posée sur la barre axiale de l'appareil et l'autre tenant leurs bâtons de ski, de sorte que les photographies en cause sont dépourvues d'originalité comme ne reproduisant qu'une scène d'une grande banalité sans que la sensibilité des photographes ou leur compétence professionnelle transparaissent. " (CA Paris, 5 décembre 2007)

Cette solution a été rappelée à maintes reprises depuis lors, jusqu'à cet arrêt du 4 novembre 2022, qui refuse de considérer comme originale la vue aérienne litigieuse, au motif que le photographe ne démontrait pas en quoi elle portait l'empreinte de sa personnalité, alors même que la “compétence professionnelle” de l’auteur a été ici reconnue :

"si [la photographie] démontre un savoir faire incontestable du photographe qui a réalisé son cliché d'un point de vue aérien, elle n'a d'autre finalité que de restituer le plus fidèlement possible la physionomie et la beauté du site photographié. Elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de M. [N] [M], ce dernier ne justifiant pas de choix originaux de perspective ou de prise de vue pour livrer au spectateur une représentation autre que la simple reproduction du site photographié. "

En d'autres termes, le savoir-faire, le talent du photographe, ne sont pas suffisants pour caractériser l'originalité. A rebours, le cliché en cause semblait bien résulter de contraintes extérieures à l'auteur :

"l'ensemble des choix revendiqués par M. [N] [M] comme étant originaux et reflétant sa personnalité sont avant tout dictés par des contraintes techniques, le choix de la prise de vue aérienne et de l'altitude pour la prise du cliché étant avant tout conditionné par la nécessité de cadrer au mieux le site pour qu'il puisse être représenté dans son ensemble, la lumière zénithale du soleil permettant d'apporter un éclairage optimum et le contraste et la superposition allégués entre les différents éléments résultant de la simple réunion, en un même lieu, de la mer, des rochers, du sable et de la forêt de palmiers."

Cette solution n'est pas surprenante et se situe dans la ligne de cette jurisprudence qui refuse de protéger les clichés sur lesquels le photographe n'a eu en réalité aucune prise.

L'arrêt est également très intéressant en ce qu'il refuse d'étudier la demande subsidiaire du photographe au titre de prétendus actes de parasitisme. En effet, cette demande n'avait pas été formulée en première instance, de sorte qu'elle apparaissait comme nouvelle en cause d'appel et, partant, irrecevable en vertu des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile. Ici également, la solution laissait peu de place au doute.

Du reste, si la faute avait été caractérisée, le montant du préjudice subi par le photographe eût été égal, au plus, au montant de la redevance qu'il aurait perçue s'il avait "vendu" la photographie. Il n'est pas certain que cela aurait mérité un procès.