L'éditeur d'un logiciel de gestion de cabinet d'avocats condamné au titre de l'indisponibilité de son service pendant l'incendie ayant affecté le datacenter d'OVH.

De plus en plus de logiciels de gestion de cabinets d'avocats, qui permettent de suivre ses dossiers, consigner les temps passés, émettre des factures, voire gérer les documents numériques produits (actes de procédure, contrats, consultations....) sont désormais disponibles en mode SaaS (software as a service), ce qui signifie qu'ils ne sont plus installés sur les terminaux numériques du cabinet mais sont disponibles en ligne, par le biais d'un navigateur internet.

Cette solution, plus économique, offre une souplesse bienvenue, puisque les données sont accessibles via n'importe quel terminal connecté à internet, y compris en dehors du cabinet, et que les évolutions du programme sont immédiatement disponibles via une mise à jour sur le serveur distant, sans qu'il soit besoin d'installer de nouvelles versions sur chaque machine.

Le revers de la médaille, évidemment, tient dans les aléas inhérents à une installation à distance et dématérialisée, soit parce que la connexion à internet fonctionne mal, soit parce que le serveur informatique connaît lui-même des problèmes, voire est détruit. Ce fut le cas en particulier au moment de l'incendie ayant affecté le prestataire d'hébergement OVH, en mars 2021, puisque les serveurs de cette société logés dans le datacenter de Strasbourg sont partis en fumée... et leurs données avec.

Pendant plusieurs jours, les sites internet et les programmes hébergés par OVH ont été indisponibles et, s'agissant d'un éditeur de logiciel de gestion de cabinet en particulier, les données qui ont pu être remises en ligne quelques jours plus tard n'étaient que partielles, puisque les informations renseignées pendant les heures précédant l'incident n'avaient pas été sauvegardées. De nombreux cabinets ont été impactés (dont votre serviteur...).

L'un de ces cabinets (pas moi...) s'est plaint de cette indisponibilité et de cette perte de données et a assigné l'éditeur du logiciel devant le Tribunal judiciaire de Versailles afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice. Le jugement rendu le 11 avril 2025 est à plusieurs égard très instructif.

En premier lieu, le cabinet d'avocats se plaignait de multiples dysfonctionnements, avant même la survenance de l'incendie ayant détruit les serveurs d'OVH et rendu le logiciel indisponible. Il produisait plus de 200 e-mails échangés avec l'éditeur, témoignant de difficultés d'utilisation, en raison notamment de problèmes de synchronisation des fichiers et des agendas de l'ensemble des membres du cabinet.

Sur ce point, le Tribunal refuse d'entrer en voie de condamnation. Certes, il retient l'existence d'une obligation de résultat à la charge de l'éditeur :

"L'obligation de fournir un logiciel efficient et le service d'assistance (...) est une obligation de résultat", qui est caractérisée "lorsque le prestataire s'engage à atteindre un résultat précis et [que] son échec suffit à engager sa responsabilité, sauf cas de force majeure."

En l'espèce, toutefois, le Tribunal considère que, si le logiciel de gestion était bien affecté de problèmes, comme des coupures de service, il n'était pas démontré qu'aucun service n'était opérationnel sur plusieurs jours. Par ailleurs, si des demandes d'assistance ont effectivement été formulées, elles étaient traitées "dans la journée".

Ainsi, selon le Tribunal, le cabinet ne rapportait pas la preuve d'un blocage suffisamment substantiel pour retenir la responsabilité de l'éditeur :

"Il n'est pas établi que ces incidents, certes contrariants mais isolés, aient pu avoir un impact sur les activités du cabinet dès lors que l'assistante du cabinet a indiqué avoir été en capacité de gérer le retard sans qu'il soit justifié d'un quelconque retentissement sur ses tâches habituelles."

En d'autres termes, le fait de disposer d'une assistance particulièrement efficace se retourne ici contre le cabinet d'avocats ! Il s'agit d'une sorte de prime inversée à la compétence. Dont acte.

En second lieu, surtout, le Tribunal considère que l'indisponibilité totale de la solution entre le 10 et le 26 mars 2021 engageait bien la responsabilité du prestataire.

Sur ce point, les juges se sont référés au contrat de licence de logiciel, qui prévoyait expressément une obligation de sauvegarde des données de manière redondante, avec deux opérateurs (OVH et Gandi) et deux sites distincts, permettant ainsi l'hébergement des données de production et l'hébergement des sauvegardes dans deux lieux différents pour plus de sécurité.

En pratique, cette redondance n'avait pas fonctionné et le Tribunal considère qu'il ne s'agissait pas d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité :

"La société [éditrice du logiciel] ne peut se prévaloir de la force majeure dès lors que la sauvegarde sur deux serveurs opérés par des fournisseurs distincts localisés à des endroits différents à laquelle elle s'était engagée était destiné à prévenir le risque de la défaillance de l'un ou l'autre des serveurs et qu'elle a [elle-même] failli à cette obligation."

De manière très intéressante, le Tribunal considère que l'incendie ayant affecté le datacenter d'OVH n'était pas non plus un cas de force majeure :

"L'incendie survenu dans les locaux de la société OVH constitue un événement qui, non seulement pouvait être raisonnablement prévu, mais avait même été anticipé lors de la conclusion du contrat et dont on ne peut pas dire qu'il a échappé au contrôle de la société [éditrice], laquelle devait assurer la duplication de données pour maintenir la continuité de leur accessibilité dans ce type de circonstances."

Ainsi, en l'espèce, le cabinet a été privé de l'utilisation du logiciel pendant 16 jours, l'empêchant d'accéder à ses factures, à ses agendas, aux coordonnées de ses clients, etc., ce qui a eu un impact sur l'organisation et la gestion de la structure et, partant, a engendré un dommage.

Mais si la responsabilité de l'éditeur a bien été retenue, le préjudice subi n'a été évalué qu'à la somme de 2.000 euros, faute pour le cabinet d'avoir fait constater par huissier les difficultés rencontrées...

Enfin, relevons que l'éditeur est également condamné pour avoir refusé de restituer les données du cabinet dans un délai raisonnable. Le préjudice est à cet égard estimé à 6.000 euros, tandis que le caractère non conforme des données restituée a, lui, suscité un préjudice à hauteur de 8.000 euros.