Pas de contrefaçon en cas d'usage d'une marque dans le code source d'un site

La solution n'est pas nouvelle, mais il est intéressant de se la rappeler : la contrefaçon de marque suppose dorénavant un usage public, dans la vie des affaires, pour désigner des produits ou des services. En d'autres termes, un usage qui ne correspondrait pas à ces conditions - notamment un usage privé - ne serait pas constitutif de contrefaçon.

Cette solution trouve une illustration en cas d'usage de la marque d'un tiers sur un site internet, non sur une page accessible au public, mais uniquement dans le code source du site. Cette pratique permet à certains sites d'optimiser leur référencement naturel sur les moteurs de recherche.

Ce fut le cas dans une affaire opposant deux sociétés concurrentes, proposant chacune des conseils dans le domaine des économies d'énergies. En l'occurrence, la société RSW, titulaire d'une marque "RSW" déposée notamment en classes 37 et 42, se plaignait qu'une recherche sur ce sigle dans le moteur de recherche de Google retournait une liste de résultats comprenant le site de son concurrent Aenergia.

Un huissier avait constaté que le sigle "RSW" se trouvait à plusieurs reprises dans le code source du site internet d'Aenergia, favorisant ainsi ce référencement sur les moteurs de recherche. Une action en contrefaçon et concurrence déloyale s'ensuivit.

Toutefois, par un arrêt du 19 avril 2023, la Cour d'appel de Paris a refusé de condamner la société Aenergia pour contrefaçon de marque. En effet, selon la décision, qui n'hésite pas à citer plusieurs arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne sur le sujet, l'usage d'une marque protégée dans le code source d'un site internet ne correspond pas à un usage public :

"Ainsi que l'a relevé le tribunal cette présence du signe RSW au sein du code source est invisible pour le consommateur des produits et services visés qui lorsqu'il consulte un site ne se rend pas sur cette page relative au contenu informatique du code source, sans lien avec les produits et services commercialisés sur ledit site. Aucune contrefaçon de marque n'est dès lors caractérisée de ce fait."

L'arrêt est intéressant en ce qu'il considère que le consommateur, utilisateur des moteurs de recherche, serait désormais suffisamment intelligent pour faire la part des choses et comprendre que, lorsqu'il effectue une recherche à partir de certains mots-clés, alors il va obtenir une liste de résultats qui correspondent à différents opérateurs économiques, de sorte qu'il pourra ensuite faire son choix :

"l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif (...) sait qu'il a saisi comme mot-clé de sa recherche le terme RSW accompagné de 'énergie', 'optimiseur' ou 'optimiseur d'énergie' et qu'en conséquence cette recherche va générer des résultats relatifs à divers fournisseurs en matière de services d'optimisation d'énergie autres que la société Rsw.net, titulaire des marques litigieuses (...) et que les produits ou services visés par lesdits liens ne proviennent pas du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci."

Ce libéralisme concerne aussi le grief de concurrence déloyale. En effet, les juges estiment que l'utilisation d'un signe protégé appartenant à un tiers dans le code source d'un site internet ne serait pas fautif, en l'absence de preuve d'un risque de confusion ou de détournement de clientèle :

"En l'absence de démonstration de tout risque de confusion et de tout détournement fautif de clientèle, la seule présence incriminée des termes RSW au sein des codes sources n'est pas en soi constitutive d'un acte de concurrence déloyale."

Quid du parasitisme alors ? Malheureusement, le grief n'était pas invoqué en demande. Or l'on sait que ce fondement juridique échappe à la nécessité de rapporter la preuve d'un risque de confusion et qu'il repose sur la preuve de l'atteinte portée à une valeur économique individualisée.

Ici, le signe "RSW" pouvait éventuellement constituer un signe de ralliement de la clientèle et il aurait peut-être été possible de démontrer qu'en utilisant ce sigle dans le code source de son site internet, la société Aenergia avait pour but de se placer dans le sillage de son concurrent et ainsi d'apparaître dans les résultats du moteur de recherche en cas de requête sur ce dernier.

Et effectivement, le parasitisme aurait semblé constituer le meilleur fondement juridique ici...