Finalement, l’arrêt de l’exécution provisoire existe.

Il y a quelques semaines, nous avions commenté une ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel de Paris du 14 mars 2023, rejetant une demande d’arrêt de l’exécution provisoire d’une décision de première instance, au motif que le requérant n’apportait pas la preuve de « conséquences manifestement excessives », alors même que le jugement exigeait qu’il changeât de dénomination sociale et qu’un appel avait été interjeté.

Cette solution n’était guère surprenante, eu égard à la difficulté légendaire d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire des décisions de première instance, même lorsque les conséquences d’une telle exécution se révèlent lourdes et quasi définitives - comme un changement de nom ou de dénomination sociale, qui rend souvent illusoire l’idée d’un retour en arrière, y compris en cas d’infirmation de la décision de première instance, sauf à risquer de perdre sa clientèle qui n’y comprendra plus rien.

Pourtant, il apparaît que l’arrêt de l’exécution provisoire n’est pas que théorique et peut bien être ordonné, comme en témoigne une ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel de Paris du 5 mai 2023, dans une affaire opposant des voyagistes.

En l’occurrence, deux sociétés organisatrices de voyages avaient saisi le juge des référés au commerce afin qu’il ordonne à l’un de leurs concurrents de cesser toute commercialisation, sur le marché français, de séjours vers certains hôtels basés à l’étranger et pour lesquels elles disposaient prétendument d’une exclusivité, demande à laquelle il avait été fait droit sous astreinte.

Par ailleurs, le Président du Tribunal de commerce de Paris avait ordonné à la société concurrente de communiquer à ses adversaires un état détaillé des ventes relatives à ces hôtels, comprenant le nombre de vente réalisées et le chiffre d’affaires généré, ici également sous astreinte.

La société objet de l’interdiction a interjeté appel de cette décision et, parallèlement, a saisi le Premier Président de la Cour d’appel de Paris aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire, en faisant valoir deux arguments principaux :

  • d’une part, il existait selon elle des moyens sérieux de réformation de l’ordonnance de référé en cause d’appel, en particulier parce que cette société n’était ni présente ni représentée en première instance et n’avait donc pas pu faire valoir sa défense ;

    Cet argument est retenu par le Premier Président, selon lequel il n’est du reste pas évident que les clauses d’exclusivité aient été portées à la connaissance de la société concurrente (sans oublier le fait que la mesure de communication des chiffres de vente n’apparaît pas constituer une mesure conservatoire ou de remise en état au sens de l’article 873 du Code de procédure civile) ;

  • d'autre part, il existait ici, également selon elle, des « conséquences manifestement excessives », les fameuses, attachées à l’exécution de l’ordonnance de référé, dès lors que les informations devant être communiquées étaient protégées par le secret des affaires, revêtant une valeur commerciale précisément du fait de leur caractère secret.

Sur ce dernier point, il est intéressant de relever que le caractère « irréversible » de l’exécution, même en cas d’infirmation de l’ordonnance en appel, est retenu comme un motif justifiant l’arrêt de l’exécution provisoire.

Dès lors, il a été fait droit à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, et les sociétés voyagistes ont été condamnées à payer à leur concurrent une indemnité de 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Morale de cette décision ? Il est bien possible d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire, mais dans des cas plutôt extrêmes. L’irréversibilité des conséquences de l’exécution provisoire est un argument de taille à l’appui d’une telle demande, mais elle ne suffit pas. Comme évoqué dans notre précédent commentaire, l’irréversibilité de l’abandon d’un nom de domaine jugé illicite en première instance n’avait pas permis d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire.

Il semble donc qu’il soit nécessaire à la fois d’invoquer cette irréversibilité ainsi que des chances sérieuses de réformation de la décision en première instance, ce qui fut le cas ici en particulier parce que la société demanderesse n’était pas représentée en première instance…

On restera donc prudent vis-à-vis de cette procédure.

Un grand merci à Emmanuelle Behr, associée du cabinet Lussan, pour la communication de cette décision (et félicitations à elle !).