Requête aux fins de saisie-contrefaçon : attention à ne pas se tromper de fondement légal

La Cour d’appel de Poitiers a rendu le 5 juillet 2022 un arrêt très intéressant relatif notamment à la faute commise par un avocat dans le cadre de la rédaction d’une requête aux fins de saisie-contrefaçon.

L’affaire opposait initialement une société spécialisée dans la conception de stickers décoratifs et son sous-traitant ainsi qu’un distributeur, auxquels elle reprochait la poursuite de la commercialisation de ses produits après la fin d’un contrat de sous-traitance.

L’avocat de cette société avait rédigé et soutenu des requêtes aux fins de saisie-contrefaçon afin qu’un huissier pût se rendre dans un magasin et constater la vente des produits en cause. Les requêtes avaient été fondées à la fois sur des droits de marque et des droits de dessins et modèles. Or, dans le cadre de la procédure au fond, les procès-verbaux de saisie-contrefaçon avaient été annulés car la société requérante ne disposait pas, en réalité, de droits de dessins et modèles. En effet, elle n’avait jamais déposé de tels titres.

Après avoir obtenu gain de cause, mais dans des proportions indemnitaires moindres qu’espérées, la société à l’origine du procès avait assigné son ancien avocat ainsi que l’huissier instrumentaire aux fins d’engager leur responsabilité civile professionnelle et d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi en obtenant une indemnisation plus faible que si les procès-verbaux de saisie-contrefaçon n’avaient pas été annulés. Ces derniers portaient notamment sur les chiffres de vente des stickers litigieux. L’annulation des documents avait rendu impossible leur exploitation par les juges du fond dans le cadre de la détermination du préjudice subi.

L’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers contient un bon nombre d’enseignements utiles. Et, peut-être, une lacune.

En premier lieu, l’arrêt précise que l’action en responsabilité contre l’avocat n’était pas prescrite en l’espèce, puisqu’elle avait été engagée moins de cinq ans après le jugement ayant annulé les procès-verbaux. L’avocat auteur des requêtes soutenait pour sa part que le point de départ du délai de prescription quinquennale (article 2224 du Code civil) devait être la notification des conclusions adverses, par lesquelles la défenderesse soulevait la nullité des actes. La Cour indique à cet égard que les conclusions ne faisaient que soulever un moyen de défense et que c’est la décision annulant les procès-verbaux qui faisait partir le délai.

En deuxième lieu, l’arrêt indique que, bien qu’annulé, un procès-verbal de saisie-contrefaçon reste un fait juridique qui peut être invoqué à l’appui d’une action en responsabilité civile. S’il ne peut pas être utilisé dans le cadre d’une procédure à l’appui d’une demande de condamnation fondée sur son contenu, en revanche son existence et sa teneur, nous dit la Cour, peuvent être invoquées pour les besoins d’une action subséquente en responsabilité.

En troisième lieu, l’arrêt confirme que l’avocat qui invoque un fondement juridique erroné engage sa responsabilité si, d’aventure, l’acte venait à être annulé. La Cour fait donc peser sur l’avocat une obligation d’efficacité qui pourrait confiner à l’obligation de résultat, ce qui apparaît très sévère. D’autant plus ici que l’erreur apparaît purement formelle : en effet, la requête aux fins de saisie-contrefaçon visait à la fois des droits de marque et des droits de dessins et modèles. S’il est exact que la société requérante ne disposait pas de dessins et modèles, en revanche elle était bien titulaire des marques invoquées. A telle enseigne que les actes en cause auraient été valables s’ils n’avaient visé que les marques. Qui trop embrasse, mal étreint.

L’erreur de l’avocat ici a donc consisté à viser des textes du Livre V du Code de la propriété intellectuelle. N’aurait-il visé que les textes du Livre VII, son acte eût été valable. De même s’il avait invoqué les dispositions relatives à la saisie-contrefaçon de droit d’auteur (mais il aurait alors dû caractériser l’originalité des stickers litigieux) :

« L’erreur de Me [X], consistant à avoir fondé sa requête puis son action non pas uniquement sur le terrain, adapté, du droit des marques mais aussi sur celui des dessins et modèles pour lequel elle ne disposait pas des justificatifs requis, est directement à l'origine de l'annulation des deux saisies-contrefaçons. Faute et lien de causalité sont ainsi établis. »

En quatrième lieu, au surplus, relevons que l’avocat n’est pas le seul à avoir commis une faute dans cette affaire, puisque les actes ont également été annulés en raison de fautes de l’huissier instrumentaire, à qui il était reproché d’avoir signifié les ordonnances autorisant la saisie puis entamé ses diligences sans laisser un laps de temps suffisant aux tiers saisis pour bien comprendre ce qui était reproché. Une minute seulement séparait la signification des actes et le début des mesures de saisie. En outre, de manière plus classique, la Cour a reproché à l’huissier de s’être fait assister d’un expert comptable alors que cela n’était pas autorisé par l’ordonnance de saisie. La sanction était ici inévitable.

En définitive, la Cour a considéré que l’avocat et l’huissier avaient bien engagé leur responsabilité professionnelle en l’espèce et les ont condamnés à compenser le préjudice tenant dans une perte de chance d’obtenir davantage, évaluée ici à 35.000 euros.

Notons que cette décision n’évoque pas un point qui n’a peut-être pas été abordé dans les écritures des parties et qui tient aux dessins et modèles non enregistrés. Ce droit, méconnu bien que créé il y a 20 ans, offre une protection de 3 ans à compter de la divulgation à tout dessin ou modèle nouveau et possédant un « caractère individuel ». Cette protection permet au titulaire d'interdire la copie de son dessin et modèle, sans formalité de dépôt. L’avocat n’aurait-il pas pu invoquer cette protection dans le cadre du procès, ce qui aurait validé la référence au Livre V du Code de la propriété intellectuelle ?