Pas de dépôt frauduleux pour la marque "Treets" relancée par un concurrent de Mars

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu le 20 décembre dernier une décision très intéressante en matière de marques, dans un litige opposant la société Mars, spécialisée comme chacun sait dans les confiseries, à la société Piasten, dont les activités sont également tournées vers la chocolaterie.

Les plus anciens d'entre vous se souviennent probablement des bonbons "Treets", qui furent commercialisés par Mars dans les années 1970 et 1980. Ces friandises composées d'une cacahuète enrobée de chocolat sont ensuite, en 1986, devenues les fameux "M&M's". D'aucuns ne se sont jamais vraiment remis de ce changement de nom (comme les "Raiders" devenus "Twix", mais c’est un autre sujet).

Il y a quelques années, l'idée a germé dans l'esprit de la société Piasten de relancer les "Treets" afin de surfer sur la vague nostalgique qui sévit chez les plus de quarante ans. Elle s'est donc rapprochée de Mars, qui était toujours titulaire de plusieurs marques "Treets", dont une marque "Treets fond dans la bouche pas dans la main" (j'en vois certains au fond qui versent une petite larme d'émotion au souvenir de cette publicité). En 2017, Mars avait accepté de renoncer à certaines marques "Treets", tandis que Piasten avait lancé des actions en déchéance dans certains pays.

Piasten put déposer de nouvelles marques "Treets" et les bonbons "Treets" furent relancés. Cependant, Mars ne vit plus d'un bon oeil la présence sur le marché de ces concurrents directs de ses "M&M's" (et pour cause, c'est le même produit sous un autre nom). Mars engagea alors d'abord une procédure au commerce, pour concurrence déloyale, dont elle fut déboutée. Puis elle entama une procédure en annulation des nouvelles marques déposées par Piasten, au motif d'une prétendue fraude à ses droits.

Le litige opposant Mars à Piasten fut assez complexe et le jugement du 20 décembre 2023 témoigne des multiples questions soulevées pour être soumises au juge. On retiendra notamment trois points.

D'une part, Mars sollicitait l'annulation de sa renonciation à ses marques "Treets" en raison d'un prétendu vice du consentement. En effet, elle soutenait qu'elle n'avait renoncé à ses marques que sur la base de déclarations soi-disant mensongères de Piasten, qui n'aurait, à l'époque, pas révélé la réalité de son projet, à savoir la relance des bonbons "Treets" originels. Sur ce point, le Tribunal considère que la renonciation à une marque est un acte juridique unilatéral, qui peut effectivement faire l'objet d'une annulation s'il repose sur des motifs erronés.

Cependant, en l'espèce, le Tribunal a considéré que Mars avait été approchée par Piasten, qui lui avait déjà proposé de lui racheter ses marques (ce qu'elle avait refusé, jugeant le prix proposé insuffisant) et avait déjà engagé des actions en déchéance de ses droits dans d'autres pays, de sorte que Mars ne pouvait pas ignorer les intentions de la défenderesse et que son consentement à la renonciation de ses marques ne pouvait pas être vicié :

"Il en ressort que la SAS Mars France était informée, ou, à tout le moins, ne pouvait ignorer, la volonté de la société Piasten de disposer du signe “ Treets ” pour ses propres produits. La volonté de la SAS Mars France de renoncer à ses marques verbales françaises n°1296438 et n°93498883 n’a, de ce fait, pas été viciée par de prétendues manœuvres frauduleuses de la société Piasten."

D'autre part, le jugement rappelle que le dépôt frauduleux de marque suppose la preuve d'une mauvaise foi de la part du déposant, qui aurait conscience de porter atteinte à des droits antérieurs. Or, sur ce point, ici encore, le Tribunal relève que les intentions de Piasten étaient claires et que la société n'a pas agi à l'insu de Mars :

"Les pièces produites par les parties montrent des échanges nourris entre avril et juin 2017 relativement à la volonté de la société Piasten et de sa maison mère, la société Katjes, de négocier autour du signe “ Treets ” et, en particulier, des marques françaises “ Treets ” dont la SAS Mars France était titulaire. (...)

Il résulte de l’ensemble que la société Mars Inc. était informée de la volonté de la société Piasten d’utiliser le signe “ Treets ” pour ses produits ou ceux d’éventuels licenciés. (...)

Le dépôt des marques internationales n°1368068, n°1413533, n°1448836 et n°1498477 n’a, de ce fait, pas été effectué de mauvaise foi par la société Piasten et les demandes des sociétés Mars à ce titre seront, en conséquence, rejetées."

On relèvera également que les marques de Piasten n’ont pas été déclarées nulles en raison d'une prétendue tromperie dans l'esprit des consommateurs. On comprend que Mars soulevait cet argument pris d'un risque de confusion dans l'esprit du public, qui aurait été conduit à imaginer que les "Treets" étaient produits par elle. Cependant, comme l'indique le Tribunal, les marques "Treets" n'étaient plus exploitées par Mars depuis plusieurs années et les bonbons "Treets" ont été absents du marché pendant longtemps. Ce risque de confusion n'existait donc pas.

Enfin, le Tribunal a rejeté les demandes de Mars au titre d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, en raison notamment de l'absence des bonbons "Treets" pendant plus de trente ans sur le marché français, ce qui rendait donc inopérante l'argumentation tirée d'une prétendue atteinte à la notoriété de ces bonbons.

Il est également intéressant de noter, en ce qui concerne le parasitisme, que le grief est rejeté en raison de l'absence de preuve, par Mars, d'investissements liés à la conservation de la notoriété des bonbons "Treets", ce qui parait effectivement tout à fait logique.

En conclusion, la décision souligne une certaine forme d'incohérence, pour un acteur économique, à décider de changer le nom de l'un de ses produits et, parallèlement, à tenter d'empêcher des tiers d'utiliser ce nom, trente ans plus tard. Peut-être ici Mars n'avait-elle pas perçu l'aura dont bénéficiaient les "Treets" qu'elle commercialisait jusqu'au milieu des années 1980 et la nostalgie qui affecte tous ceux qui appréciaient ces bonbons et n'ont pas compris, à l'époque, leur changement de nom.

Mais la propriété intellectuelle étant une exception au principe de liberté du commerce et de l'industrie, il est logique qu'en laissant le terrain libre à des concurrents, ceux-ci s'en servent dans leur intérêt... et celui de leur public.

Une démarche pertinente de la part de Mars aurait pu être de commercialiser des éditions spéciales des "M&M's" qu'elle aurait appelées "Treets". Dans un autre domaine, le géant des jeux vidéo Nintendo n'hésite pas à réutiliser des visuels anciens de ses personnages, d’anciens jeux ou des éditions spéciales de consoles, voire à produire des appareils remis au goût du jour (comme les Game & Watch), notamment pour maintenir ses droits de propriété intellectuelle sur d'anciennes marques. A méditer !