La compétence exclusive du Tribunal judiciaire en matière de marque ne vaut que si une atteinte à la marque est invoquée.

Solution évidente ? Pas pour tout le monde semble-t-il, mais il est vrai que, dans certains cas, la question peut se poser.

Dans une affaire opposant le célèbre fabricant de nettoyeurs haute pression Karcher à un concurrent qui, semble-t-il, s’inspirait un peu trop de ses produits, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dû rappeler un principe essentiel de procédure en matière de défense des droits de propriété intellectuelle (Cass. com. 14 octobre 2020, n° 18-21.419).

En l’espèce, Karcher avait assigné une société belge au titre d’actes de concurrence déloyale et parasitisme devant le Tribunal de commerce de Marseille. Karcher évoquait, dans son assignation, probablement au titre d’un faisceau d’indices, une marque française dont elle est titulaire, constituée d’une couleur jaune. La défenderesse en a déduit que la procédure visait, en réalité et nonobstant le fondement explicite des demandes, à faire sanctionner l’atteinte à cette marque. 

Le Tribunal de commerce de Marseille a accueilli l’exception de procédure et s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de grande instance (désormais « Tribunal judiciaire ») de Marseille. En appel, la Cour d’appel d’Aix en Provence a validé le jugement des juges consulaires au double motif que les demandes de Karcher auraient mis la juridiction saisie « dans l’obligation d’apprécier les droits de la société Karcher sur la couleur jaune des appareils en cause » et que que les faits poursuivis pouvaient en réalité être qualifiés de contrefaçon.

Karcher a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision et, par un arrêt du 14 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en relevant que la Cour « avait constaté que les demandes étaient exclusivement fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme », ce qui ne laissait pas de place à la discussion sur la compétence juridictionnelle. 

Selon la Cour, un demandeur peut valablement invoquer une marque déposée au titre de prétentions formules au regard du droit commun de la responsabilité civile, ce qui ne transforme pas automatiquement le fondement de son action. Il convient en effet de s’attacher aux demandes telles que figurant dans l’assignation et non à l’éventuelle réponse du défendeur : « les demandes [de Karcher] n’impliquaient aucun examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché [à la marque] ».

La solution inverse donnerait la maîtrise de la compétence juridictionnelle non pas au demandeur (qui choisit de porter le litige devant le juge de son choix, dans la limite des règles de compétence territoriale et matérielle), mais au défendeur. En effet, en contestant la validité d’une marque qui n’est pas même invoquée en tant que telle au soutien d’une action en contrefaçon, alors le défendeur rendrait la juridiction saisie incompétente. 

Or le défendeur a bien le choix, s’il le souhaite, de contester la validité d’une marque, mais dès lors qu’elle n’est pas invoquée à l’appui de demandes en contrefaçon, cette défense par l’attaque n’a pas d’objet ni de portée. 

L’affaire doit donc revenir devant le Tribunal de commerce de Marseille. Que de temps perdu…