La Cour de cassation aborde encore la question du préjudice en matière de concurrence déloyale

Et de deux ! Voici une nouvelle décision d’importance rendue par la Cour de cassation en ce qui concerne l’indemnisation de la victime d’actes de concurrence déloyale. Le 15 janvier dernier, déjà, la Cour suprême avait rappelé, dans un arrêt d’une grande limpidité, que tout acte de dénigrement ou de parasitisme créait nécessairement un préjudice pour celui qui le subit, à charge pour les juges du fond d’en déterminer le montant. Cette présomption de préjudice est simple, c’est-à-dire qu’il est possible d’en rapporter la preuve contraire, mais elle allège sensiblement la charge de la preuve pour le demandeur à l’action.

Par un arrêt du 12 février 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation poursuit son oeuvre pédagogique en la matière, à la faveur de la nouvelle rédaction de ses arrêts, dont on peut saluer la singulière clarté, surtout au regard de la méthode « classique » qui pouvait parfois donner l’impression à son lecteur de chercher à comprendre le sens d’une prédiction de la Pythie. 

L’affaire en cause opposait deux sociétés spécialisées dans la création et la fabrication d’objets d’arts de la table. La société Cristallerie de Montbronn reprochait à la société Cristal de Paris de commettre des pratiques commerciales trompeuses en prétendant des produits soi-disant fabriqués en France alors qu’il était en réalité fabriqués en Chine et en Europe - sans être d’ailleurs toujours en cristal, mais plutôt en verre, cristallin et luxions.

La société Cristal de Paris avait été condamnée en appel à payer 300.000 euros de dommages et interêts pour concurrence déloyale par pratique commerciale trompeuse et tromperie. Devant la Cour de cassation, elle contestait le quantum mis à sa charge - question qui relève pourtant du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond et qui pouvait difficilement susciter la censure de la Cour régulatrice.

Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle ». En partant de ce principe séculaire, la Cour énonce, une nouvelle fois, qu’il existe en la matière une « présomption de préjudice », laquelle ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve de l’étendue du dommage mais fixe tout de même une « moindre exigence probatoire », alors qu’il est parfois difficile de déterminer un quantum précis.

La Cour reconnaît la difficulté en la matière, dans un ex-attendu qui pourra servir à l’occasion :

« les pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une règlementation (…) induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficile à quantifier, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu ». 

Ainsi, la Cour valide l’arrêt d’appel qui s’était appuyé sur une analyse du prix de revient des produits au regard de son chiffre d’affaires :

« la Cour d’appel a pu, pour évaluer l’indemnité (…) tenir compte de l’économie injustement réalisée par la société Cristal de Paris, qu’elle a modulée en tenant compte des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par lesdits agissements ». 

La morale de cet arrêt tient l’éventail d’indices dont les juges du fond disposent pour évaluer le préjudice, au-delà du principe, désormais affirmé et réaffirmé, de manière extrêmement forte, de l’existence présumée du dommage. Voici donc deux décisions successives dont la vocation pédagogique est manifeste et qui guideront avantageusement les plaideurs dans leurs affaires de concurrence déloyale.