Un référé-expertise tendant à l’évaluation de la valeur d’une marque échappe aux règles de compétence juridictionnelle applicables en matière de propriété intellectuelle.

La spécialisation des juridictions en matière de propriété intellectuelle date d’il y a plus de dix ans, mais elle n’en finit pas de soulever des interrogations, souvent légitimes, afin de déterminer ce qui relève des juridictions spécialisées et ce qui peut être porté devant les juridictions classiques.

Pour mémoire, il existe en tout et pour tout en France dix juridictions de première instance spécialisées, en vertu d’un décret du 9 octobre 2009, ayant vocation exclusive à connaître des litiges relatifs aux droits de propriété intellectuelle, en particulier les marques. Il s’agit des Tribunaux de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes et Fort-de-France.

Dans une affaire jugée récemment par la Cour d’appel de Montpellier, la question se posait de savoir devant quelle juridiction porter un litige relatif à la valeur d’une marque à la suite d’une promesse de cession

Le bénéficiaire de la promesse avait choisi d’engager un référé-expertise afin qu’un expert fût désigné et chargé de déterminer la valeur de la marque, laquelle dépend généralement de nombreux critères (chiffre d’affaires généré par l’exploitation de la marque, notoriété de la marque, existence ou non de licenciés, etc.).

Ce référé avait été engagé devant le Président du Tribunal de grande instance de Montpellier, lequel tribunal ne figure pas dans la liste des dix juridictions spécialisées. En défense, le promettant avait donc contesté la compétence de la juridiction et son argumentation avait été accueillie, le Président se déclarant incompétent pour trancher les demandes formées en référé en application de l’article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle relatif à la compétence juridictionnelle en matière de marques, et renvoyant l’affaire devant le Tribunal de grande instance de Marseille.

Appel fut interjeté et, par un arrêt du 27 février 2020, la Cour d’appel de Montpellier a infirmé l’ordonnance de référé. Selon l’arrêt, les règles de compétences énoncées à l’article L. 716-3 du CPI « suppose[nt] que le litige né entre les parties porte sur le droit des marques et soit de nature à affecter au fond les droits du titulaire de la marque. »

En revanche, la compétence exclusive des juridictions spécialisées « ne se justifie pas en présence d'un contentieux ne nécessitant pas l'examen de l'existence ou de la méconnaissance d'un droit attaché au titre de la propriété intellectuelle. » 

C’est ainsi que, s’agissant non pas d’un litige mettant en oeuvre les droits de propriété intellectuelle sur une marque, mais d’un différend relatif à la valeur de la marque, les règles de compétence exclusive ne trouvent pas à s’appliquer.

En effet, au fond, le litige réside uniquement dans les conditions de la cession de la marque :

« Le litige susceptible d'opposer les parties sur le fond est relatif exclusivement à la formation du contrat de cession et à son exécution, un tel litige n'impliquant pas l'application des règles spécifiques du droit des marques édictées par le code de la propriété intellectuelle, mais celles du droit commun des obligations liant deux parties à un contrat. » 

En somme, afin de déterminer la compétence juridictionnelle en présence d’un droit de propriété intellectuelle, y compris au stade du référé, il convient de se pencher sur la nature du litige qui, au fond, oppose les parties.

La solution n’est pas nouvelle, le Tribunal de commerce ayant ainsi souvent jugé qu’il conservait sa compétence pour trancher des questions relatives à des redevances de marque, par exemple (v. not. CA Paris, 18 octobre 2016), mais elle a ici le mérite de la clarté !